Nullité de la caution du chef d’entreprise : une « mensualité » n’est pas un « mois ».
- 3 mars 2016
- Laurent DENIS
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Une audience de la Cour de cassation peut, parfois, prendre des airs de séance de dictionnaire de l’Académie française. Car si le droit bancaire entretient des rapports étroits avec les mathématiques, il dispose également d’une relation privilégiée avec la sémantique. La précision des termes conditionne la validité ou la nullité d’un droit.
A ce propos: un mois n’est pas une mensualité ; une mensualité n’est pas un terme mesurant la durée.
Voici ce que rappellent de manière épiphanique la Cour d’appel de Montpellier et la Cour de cassation, à propos d’une caution personnelle donnée par un chef d’entreprise aux crédits bancaires octroyés à sa société.
Les faits. Une personne physique, chef d’entreprise, s’est, par un acte du 15 septembre 2006, rendue caution solidaire des crédits consentis à sa société de plomberie, par un établissement de crédit supposé très populaire. Cet acte indique que le cautionnement est donné « pour la durée de 108 mensualités ».
Malheureusement, la société a connu la liquidation judiciaire ; la caution a refusé d’exécuter son obligation. La banque a assigné la caution en paiement, devant le Tribunal de commerce. Celle-ci a opposé la nullité de son engagement.
Le Tribunal de commerce a déclaré le cautionnement valide, le 8 avril 2013.
Le chef d’entreprise a demandé la réformation de ce jugement, en appel. La Cour d’appel de Montpellier (CA Montpellier, 2e chambre, 22 Avril 2014 – n° 13/03451) infirme le jugement du Tribunal de commerce. Sur la question de la définition juridique de la durée, la banque se pourvoit en cassation.
Par ailleurs, la Cour d’appel tranche le respect ou l’enfreinte des autres obligations substantielles de la banque, notamment son devoir de mise en garde due à la caution, ainsi que l’obligation d’information annuelle de la caution.
La question posée à la Cour de cassation vise donc à déterminer si « mensualité » est un concept exprimant -ou non- la durée. La Cour de cassation confirme nettement l’analyse des Juges du fond en pointant, à son tour, l’erreur de la banque dans l’expression utilisée.
Le Droit. La caution doit exprimer son consentement au moyen d’une mention manuscrite, dont la formule quasi rituelle est prévue par l’article L. 341-2 du Code de la consommation.
Ce formalisme oblige à préciser la durée de l’engagement de la caution, la forme de cette durée n’étant pas détaillée. Il appartient donc aux parties de recourir à des termes rigoureux pour définir cette durée, afin que le consentement de la caution soit éclairé.
La banque a choisi d’engager la caution pour une durée de « 108 mensualités ». Or, pour la Cour d’appel, « le mot mensualité […] est défini comme le paiement mensuel d’une somme d’argent ». Il « diffère du mot « mois » qui est une période de 30 ou 31 jours ». Ainsi, l’expression « 108 mensualités » n’indique pas une durée de temps mais un nombre de paiements mensuels sans que ce nombre soit limité dans le temps ou qu’il soit indiqué un début et un terme.
De sorte que « la formule utilisée […] ne revêt aucun sens, affecte la compréhension de la durée de l’engagement de caution et par suite, sa validité ».
La Cour de cassation (Cour de cassation, Ch. Commerciale, 26 janvier 2016 n°20-20.202) confirme sans aucune réserve cette partie de l’analyse juridique et l’absence de toute erreur de droit.
« La cour d’appel n’a pas ajouté […] une condition […] en imposant que la mention manuscrite se réfère sur ce point à une durée, ce qui n’est pas le cas d’une formule manuscrite se référant à cent huit mensualités et non à cent huit mois ». Et « qu’après avoir ainsi constaté que la formule se référait à un montant et non à une durée d’engagement, c’est exactement que la cour d’appel a retenu qu’elle modifiait le sens et la portée de la mention manuscrite prévue par la loi ».
La connaissance claire « de la portée exacte de l’engagement » de caution conditionne la validité de l’acte.
Le Droit bancaire impose des obligations strictes aux professionnels, en particulier, aux établissements de crédit et aux banques.
Alors que les particuliers se montrent de plus en plus actifs dans l’examen juridique critique des obligations bancaires relatives à leurs crédits (Taux Effectif Global, devoir d’information, devoir d’explication ou de mise en garde, devoir de conseil, par exemples), les chefs d’entreprises auraient tout intérêt à systématiser l’audit juridique de leurs engagements bancaires, crédits et cautions.
Le pouvoir souverain d’octroyer des crédits aux entreprises ne dispense pas la banque de délivrer les nombreuses obligations qui lui incombent, au bénéfice de l’entreprise et de son dirigeant.
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